Édito n°62
Un monde bicéphale
Alors que nous écrivons ces lignes, deux images antagonistes occupent notre esprit. D’un côté, celle de ces Indiens plongés dans le dénuement le plus complet qui agonisent, notamment par manque d’oxygène. A New-Delhi, les bûchers avalent sans relâche des corps emportés par le Covid-19, à tel point qu’une poussière noire s’insinue partout dans la capitale indienne. Si l’aide internationale est conséquente, elle fait figure de pansement autocollant appliqué sur une plaie hémorragique.
A l’opposé, il y a l’image de ces baigneurs trop contents de se prélasser sans masque sur les plages de la Côte d’Azur sous un soleil printanier. Interviewés par la télévision nationale, ils sont sincèrement préoccupés par la marque que pourrait laisser, sur leur bronzage estival, cet attribut inconfortable dont on s’affuble depuis plus d’un an pour parcourir l’espace public. Certes, ils ont été poussés par des déclarations politiques hâtives liées à un déconfinement que l’on voudrait le plus rapide possible. Et tant pis si nos hôpitaux sont toujours surchargés, si nos soignants sont éreintés, et si le risque de rebond ne peut être définitivement écarté.
Alors que la campagne de vaccination bat – enfin – son plein en France, il semblerait que les anti-masques, les anti-science, les anti-vaccins se découvrent minoritaires. Minoritaires face au désir impérieux de recouvrer un semblant de « vie d’avant ». La notion de passeport sanitaire permettant demain de participer aux activités de groupe, à condition d’avoir joué le jeu de la protection individuelle et collective, n’y est sans doute pas pour rien…
Ainsi va donc ce monde, incapable d’organiser à large échelle une réponse sanitaire coordonnée qui soit avant tout basée sur les besoins humains plutôt que sur des stratégies politiques et économiques nationales, voire entrepreneuriales.
Nicolas Lefebvre